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Législation du travail de nuit par Chantal Rivaleau, 12 juin 2003
j'ai été très intéressée par cet article, trouvé sur le site "cadredesabte.com", aussi j'en fait profiter tout le monde.
La législation du travail de nuit
par Chantal Rivaleau, 12 juin 2003
Le travail de nuit, en particulier concernant les femmes, fait lobjet de textes de Loi depuis longtemps puisque dès 1892, il était interdit, sauf dérogations particulières dans les domaines de lhygiène et de lalimentaire. En 1979, le travail de nuit est autorisé pour les femmes occupant un poste de direction ou à caractère technique, impliquant une responsabilité. Dès 1982, la prise en compte de la pénibilité du travail de nuit se traduit par une réduction du temps de travail hebdomadaire à 35 heures. Cette mesure ne concernera le personnel hospitalier quà partir de 1991. Différents protocoles sont signés entre 1988 et 1991. Ils concernent les conditions de travail du personnel hospitalier. Il sagit des protocoles "Evin" du 20 octobre 1988, "Durafour" du 09 février 1990 et enfin du protocole "Durieux" du 15 novembre 1991. Ils donnent lieu à la circulaire 91.68 du 23 décembre 1991 qui évoque les difficultés occasionnées par la charge psychique, la pénibilité de certaines situations de travail et lisolement professionnel des équipes de nuit. Cette circulaire évoque également lintérêt de faire évoluer les relations humaines entre les différents secteurs du milieu hospitalier. Enfin, elle dit :
"Aucune mesure nationale ne peut résoudre la difficulté de ces situations, car elles nécessitent une participation de lensemble des personnels hospitaliers (administratifs, soignants, médecins) à la définition de nouveaux modes de communication et dorganisation du travail".
Ces différents textes reconnaissent limportance du travail de nuit et les difficultés quun tel rythme engendre.
Les besoins spécifiques du patient la nuit
Les attentes des patients vis à vis du personnel ont été étudiées dans une enquête faite entre 1988 et 1992 à linstigation du Ministère de la Santé et de lAction Humanitaire. Les priorités des malades vis à vis des soignants de nuit sont ainsi définies :
la compétence
la présence
les relations amicales
les relations daide
la sécuritéCes attentes du patient existent aussi la journée mais prennent une ampleur différente la nuit. La surveillance clinique doit être accrue pour plusieurs raisons :
la difficulté dobserver un malade dans la pénombre
la crainte des patients de déranger le personnel pour "rien"
la baisse de vigilance des malades du fait de leur fatigue ou tout simplement de leur endormissement.Une des plaintes de patients interrogés à la sortie de lhôpital est souvent le manque de sommeil. Cela est dû à la fois aussi bien à des causes extérieures (bruit, soins...) quà létat du malade lui-même : angoisse, peur, inconfort dû à la maladie et souvent douleur amplifiée la nuit ou en tout cas ressentie différemment.
Enfin, ce sont sûrement les attentes relationnelles des malades qui sont les plus influencées par la venue de la nuit. Il est important de revenir sur les représentations et symboles véhiculés par la nuit. Dans toutes les mythologies, le soleil et le jour représentent la vie. La nuit est symbolisée par la puissance des ténèbres. Cest une forme de notre culture qui imprègne chacun dentre nous et par conséquent qui influence consciemment ou non les patients hospitalisés. Tous les soignants sont conscients que la nuit, en particulier la fin de nuit, est un moment difficile pour les patients instables. Pour tous, linquiétude et langoisse sont présents. Ces éléments ne font que sajouter à latmosphère qui règne la nuit : silence parfois pesant mais aussi amplification de tous les bruits. Pour toutes ces raisons, les besoins psychologiques du patient sont particulièrement importants. Il a besoin détablir des relations avec le personnel afin de parler pour évacuer lobjet de son anxiété, dêtre informé et de connaître ceux qui le soignent. Connaître la personne qui va répondre à son appel et lui faire confiance diminue lanxiété éprouvée par le patient. Parmi les patients que javais interrogés lors de ma préenquête, certains insistaient sur le fait quils appréciaient davoir affaire à moins de personnes différentes. Une enquête du Ministère de 1992, concluait ainsi le chapitre étudiant les besoins exprimés par les malades la nuit : "Les attentes des personnes hospitalisées sont fortement axées sur le confort, la sécurité, la relation et la compétence du personnel, quel que soit le type de service ou détablissement... Les malades manifestent le désir de lutter contre lennui, le droit dobtenir des informations claires et rapides, de participer en tant quindividu responsable à sa propre prise en charge. La manifestation de ces besoins nest-elle pas révélatrice de lanxiété des malades pendant la nuit ? ils ont besoin dêtre écoutés, dêtre informés, de ne pas être seuls" [1]
En conclusion, il est donc important que la nuit, le personnel soignant soit à lécoute du patient et réponde autant que possible à ses attentes de quelque nature quelles soient. En effet, la crainte, langoisse persistent tout au long de lhospitalisation quand vient la nuit. Les soignants peuvent apporter une réponse relationnelle mais ce nest pas la seule. Il est important pour le patient davoir une information identique de la part des personnels de jour comme de nuit. La confiance inspirée par les soignants, lécoute, lattitude les rapports qui se nouent sont essentiels. Il ne faut pas pour autant oublier quun malade sera moins sujet à langoisse sil se sent en sécurité. Celle-ci doit être ressentie par le patient dans tous les domaines. La confiance doit être effective dans les relations mais aussi dans la qualité des soins effectués.
Les spécificités du travail de nuit pour le personnel soignant
Le travail de nuit a de nombreuses répercussions sur la santé des travailleurs. Celles-ci ont été étudiées par les médecins du travail et en particulier, le Docteur Estryn Brehar, médecin du travail de lAssistance Publique. Elle rend compte de ses études dans lun de ses livres "Stress et souffrance des soignants". Les aspects psychiques ou affectifs du travail sont prépondérants dans toutes les professions. Mais les métiers en relation avec le public ou plus encore en relation avec la maladie grave et la mort sont soumis à des interpellations fortes sur le sens de leur activité. La manière dont lorganisation des prestations hospitalières rend possible ou non, pour chaque soignant, des marges de manuvre, est déterminante en matière de plaisir ou de souffrance dans le travail. Ces marges de manuvre concernent notamment la possibilité de réaliser un réel travail déquipe et des soins de qualité personnalisés. Les mécanismes de défense permettent souvent aux salariés de conserver leur comportement et attitude habituels malgré leurs difficultés. De façon parfois masquée, lévolution de cet état peut aggraver à son tour des situations et donner lieu à des oublis voire à des erreurs dommageables. Lapproche clinique dans la psychopathologie du travail étudie les situations génératrices de souffrance et de plaisir dans le travail. Si pour privilégier le relationnel, un soignant retardait un traitement médical ou ne réalisait pas un soin dhygiène, il serait en faute. Mais sil termine sa journée sans avoir jouer son rôle propre découte et daccompagnement, il est aussi en faute. Lanalyse de présentation des informations peut aider à comprendre la fréquence des incertitudes concernant leur perception ou leur signification. Les horaires, la durée et la répartition du travail sont importants. Le rôle de la dette de sommeil sur les troubles du caractère et le risque dépressif gagne à être compris aussi bien par ceux qui peuvent en souffrir que par ceux qui les côtoient. En comprenant les effets du manque de sommeil, bien des jugements hâtifs souvent dévalorisants sur la compétence dune infirmière de nuit ou sur son caractère difficile pourraient être évités. La souffrance psychique causée par le travail ne conduit pas inéluctablement à lapparition dune pathologie de type psychiatrique. Si léquilibre est sauvé, cest parfois au prix dune lutte qui exige parfois le renoncement à un véritable projet de vie et à lessentiel du désir et de la joie de vivre. Libouban en 1985 a déduit de son étude que 2 manifestations comportementales acquièrent valeur de stratégie défensive : la formation dune équipe solidaire - la solidarité fonctionne alors comme système de défense -, et labsence dabsentéisme, tenir à tout prix constitue une priorité. [2] Kasl en 1973 pense quun bas niveau de satisfaction professionnelle est lié à la non-participation à la prise de décision, à limpossibilité de donner un avis retour -feed back- aux superviseurs et au manque de reconnaissance des bonnes performances. Les facteurs qui génèrent classiquement la satisfaction des employés sont la clarté sur les rôles, la communication et le feed back, la possibilité de participer à la prise de décision et les possibilités dinnovation. Lors dune étude, un quart des infirmières (26%) pensent que leur connaissance du malade nest jamais prise en compte lors des prises de décision. Cette fréquence est largement plus élevée chez les infirmiers de nuit.
1- La motivation
Elles sont variables en fonction du profil de chaque soignant et les motivations du choix de travailler de nuit au départ diffèrent des motivations pour rester. Les arguments avancés le plus souvent sont :
des obligations familiales pour les motivations de départ
une ambiance de travail plus conviviale, plus solidaire du fait du moins grand nombre de soignants présents la nuit
une plus grande autonomie dans lorganisation du travail en dehors des soins relevant dune prescription médicale et dune planification répartie sur la journée
une responsabilité plus importante quant aux décisions concernant un patient du fait de laccessibilité plus difficile du médecin, du cadre et du personnel moins nombreux.
une plus grande disponibilité pour la relation avec le patient2- La spécificité physique du travail de nuit
La connaissance des effets sur la santé, la vigilance et les troubles du caractère dus au travail de nuit et de la "dette" de sommeil est indispensable aussi bien pour ceux qui vivent cette situation que pour leurs collègues des autres équipes. Cette connaissance permet à un soignant de nuit déviter de se dévaloriser quand il se trouve confronté, en raison des horaires notamment, à ce quil considère comme un manque de dynamisme. Une telle information permet aux collègues des autres horaires déviter des critiques hâtives. Elle les incite à organiser la transmission des informations et les rangements de manière à ne pas pénaliser leurs collègues de nuit. La réponse aux angoisses des patients, la nuit, nécessite des soignants qui sen occupent, de rencontrer lencadrement et les médecins régulièrement sans amputer leur repos.
Le sommeil :
Cest lun des problèmes majeurs des équipes de nuit. En effet, le travail nocturne soppose au rythme biologique circadien. Les effets de ce décalage sont divers suivant les individus : difficultés dendormissement, insomnies, réveils précoces... Il a été calculé que les travailleurs de nuit ont une dette de sommeil denviron deux heures par rapport à leurs collègues de jour. Cela a des conséquences telles que : nervosité, fatigue, troubles de lhumeur, problèmes de vigilance, dattention, de performance et dadaptation à une situation nouvelle. ... De plus, ces problèmes saggravent avec le temps.
Le stress :
Il est à relier aux problèmes de sommeil et à la pénibilité du travail de nuit. Il est parfois aussi à relier à laccroissement des responsabilités qui est pourtant cité comme une des motivations au travail de nuit. Les personnels de nuit se plaignent souvent de leur anxiété et de leur irritabilité en relation bien sûr avec le stress.
Les effets sur la production et la sécurité :
De manière générale, il y a dégradation des performances en particulier des temps de réaction durant le poste de nuit, spécialement entre 3h et 6h. La somnolence peut entraîner des endormissements au travail. Il sagit de la perte de conscience au cours dun combat pour rester éveillé. La somnolence est donc un avertissement quun endormissement peut suivre. Certaines catastrophes sont liées au travail de nuit : Tchernobyl à 1h35, Tree Mile Island entre 4h et 6h et laccident de la navette Challenger dû à une erreur de jugement tôt le matin.
Les troubles gastro-intestinaux : gastralgies, constipation ...
Des études ont été faites concernant lalimentation des travailleurs de nuit. Le fait de salimenter à un rythme inverse du rythme circadien provoque ces diverses pathologies. [3]
Le comportement alimentaire avec modification des besoins qualitatifs et quantitatifs, troubles de lassimilation et de la digestion.
Une étude menée à lAssistance Publique révèle une prise de poids dau moins dix kilos pour 22% des femmes travaillant depuis moins de trois ans de nuit et pour 50% des femmes travaillant depuis plus de trois ans de nuit.
Les autres pathologies
Ce sont les risques coronariens accrus, la tendance à lhypertension, la réduction probable du système immunitaire, les dérèglements endocriniens divers découlant directement de ceux évoqués précédemment : dette de sommeil, surpoids, stress...
La spécificité psychologique du travail de nuit
1- Lorganisation du travail
La nuit, le personnel travaille en binôme infirmière /aide soignant(e). Il est donc plus facile de sorganiser en fonction des priorités, les interruptions sont également moins nombreuses. Le personnel a donc la sensation dune plus grande autonomie. Lesprit déquipe, que ce soit pour répondre aux attentes du malade ou en cas durgence, est particulièrement important et cité par le personnel de nuit comme un des aspects positifs. Les aides soignants le ressentent tout particulièrement et nombreux sont ceux qui se sentent plus reconnus dans leur fonction de nuit que de jour.
2- Les relations professionnelles
Avec lhôpital : Elles sont difficiles du fait des horaires (bureau du personnel, bureau de la formation continue...), mais des efforts sont faits et sont très appréciés du personnel de nuit.
Avec le service : Les différentes réunions (réunions de service, staff, conseil de service, pots de départ...) sont le plus souvent organisés à lheure du déjeuner ou en tout début daprès midi. Il est donc rare que le personnel de nuit puisse y assister, quand il y est invité ! Il est probable que cela renforce limpression de ces personnels que ces réunions leur sont inaccessibles et quils ne font pas partie de léquipe. De plus, lhoraire des réunions ne tenant jamais compte de leurs impératifs, les démotive à faire des efforts pour y assister.
Avec léquipe médicale : Les gardes médicales, dans les services la nuit, sont confiées aux internes sous la responsabilité dun médecin "senior", le plus souvent externe à létablissement et se tenant aux urgences. La majorité des soignants de nuit nont jamais rencontré le chef de service et ses assistants.
Avec lencadrement : Les soignants de nuit ont le plus souvent à faire au cadre de nuit qui soccupe de tout létablissement. Les seuls contacts avec les cadres du service se font par lintermédiaire du téléphone ce qui ne les satisfait guère.
3- Langoisse et la solitude
Dans une enquête faite en 1998, à lAssistance Publique des Hôpitaux de Paris, plus du tiers des soignants trouve le travail de nuit angoissant, sans rapport avec lancienneté. Du fait des difficultés de communication dont se plaignent les soignants de nuit, ils se trouvent souvent désarmés quant à la réponse à apporter au patient. Or, celui-ci questionne le personnel, la nuit, essentiellement par rapport à ce qui motive son angoisse personnelle, la maladie, la souffrance voire la mort. Le même problème se pose avec les familles, qui les connaissant moins, demandent à parler à des personnes quelles connaissent mieux. Il est également plus difficile, la nuit, davoir des recours face à des difficultés dorigine linguistique, culturelle ou religieuse.
4- La dévalorisation et lisolement [4]
"Linfirmière de nuit a besoin de communiquer la spécificité de son vécu professionnel aux autres soignants, notamment à ceux de léquipe de jour et à la hiérarchie. Sinon, elle risque déprouver un sentiment de dévalorisation et disolement professionnel qui, à long terme, pourrait savérer néfaste, tant pour le soignant que pour la personne soignée" Un manque de communication peut être à lorigine dun sentiment de dévalorisation, de non-reconnaissance pouvant aller jusquà lisolement [5] [6]
En conclusion, le travail de nuit est un exercice particulier dun point de vue physique et psychologique. Il est essentiel de limiter les effets de la charge physique et mentale des soignants pour leur qualité de vie au travail mais aussi et surtout pour celle des personnes soignées.
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